Infections liées aux cathéters en réanimation

Définition et incidence

Les cathéters veineux centraux sont utilisés dans 65% des journées réalisées en réanimation.
Les infections liées aux cathéters (ILC) représentent la troisième cause d’infections nosocomiales. Les taux d’incidence varient entre 0.5 et 10 par 1000 jours CVC en fonction des types de CVC et des définitions utilisées. La survenue d’une bactériémie s’accompagne d’une augmentation du risque de mortalité de 10 à 15%, d’un allongement de la durée d’hospitalisation de 9 à 12 j et d’un surcoût d’environ 10 000 € par épisode.

Les définitions d’ILC varient d’un pays à l’autre et doivent être connue pour interpréter les résultats des études cliniques. Les recommandations françaises pour les bactériémies liées aux cathéters (BLC) sont assez proches des recommandations de l’IDSA. A coté de ces définitions cliniques, des définitions épidémiologiques de bactériémie associées aux cathéters (BAC (traduction de CLA-BSI : Central-line associated bloodstream infection)) sont utilisées dans de nombreux pays. Très schématiquement la BAC repose sur une bactériémie prouvée sans étiologie retrouvée chez un patient porteur d’un cathéter.

Le concept de sepsis clinique non bactériémique lié aux cathéters est reconnu par la plupart des cliniciens mais n’est pas utilisé en Amérique du Nord.

Enfin la colonisation de l’extrémité distale des cathéters est bien corrélée au risque de BLC mais n’est pas effectuée systématiquement dans tous les services.

En France, un quart des septicémies liées aux cathéters sont dues à un staphylocoque à coagulase négative. S aureus et P aeruginosa représentent 15 et 10% respectivement. Candida sp. est impliqué dans 18% des cas (source REA-RAISIN 2011).

Méthodes de diagnostic

La fièvre ou le syndrome de réponse inflammatoire systémique sont présents dans plus de trois quart des cas lorsque l’ablation des cathéters est décidée. L’érythème est fréquent et aspécifique. La douleur, l’écoulement purulent ou une tunnélite sont rares mais possèdent une meilleure valeur diagnostique. L’attitude la plus commune en cas de suspicion d’ILC est le changement de celui-ci. Cependant seulement 15 à 25 % des cathéters enlevés s’avèrent colonisés.

La culture qualitative non spécifique doit être abandonnée. Trois techniques sont utilisables en routine, la méthode semi-quantitative de Maki (seuil 15 ufc) qui n’explore que la partie extraluminale du cathéter et les cultures quantitatives, plus précises, par vortexage ou sonication de Brun-Buisson (seuil 103 ufc/ml) et de Sherertz (seuil 102 ufc/ml) qui permettent de tenir compte de la portion extra- et intraluminale du cathéter. La culture perd jusqu’à la moitié de sa sensibilité si les patients reçoivent déjà des antibiotiques lorsque le cathéter est cultivé.

En cas de sepsis sévère, l’ablation du cathéter fait partie du traitement des ILC. En cas de suspicion d’ILC chez un patient dont l’état clinique est modérément grave et dont le cathéter est encore nécessaire, des techniques diagnostiques conservatrices peuvent être proposées.

La culture quantitative à l’aide d’un écouvillonnage d’une surface de 16 ou 25 cm2 à l’orifice de sortie du cathéter recherche logiquement les ILC de mécanisme extraluminal. Elle possède une excellente valeur prédictive négative (> 97%).

La quantité de micro-organismes est théoriquement plus élevée sur le sang prélevé par l’intermédiaire du cathéter infecté que sur le sang périphérique. Cette propriété est utilisée pour faire le diagnostic avec la technique des hémocultures quantitatives comparatives maintenant remplacé par le délai différentiel de pousse des hémocultures. Un délai différentiel de pousse de plus de 120 minutes possède une sensibilité et une spécificité de plus de 90% dans l’étude princeps. Pour être valide, il est recommandé de prendre la même quantité de sang dans l’hémoculture périphérique et celle prélevées par le cathéter et de faire une hémoculture sur chaque voie des cathéters multi lumières. Elle est théoriquement plus adaptée au diagnostic des infections dont le mécanisme est endoluminal.

Une attitude conservatrice face à une suspicion d’ILC en réanimation a été testée dans une étude randomisée chez des patients immunocompétents, hémodynamiquement stables et indemnes de tout dispositif implanté (soit 44% de la suspicion d’ILC). Elle consistait à attendre le résultat des hémocultures et des bilans bactériologiques avant d’envisager l’ablation des cathéters. La stratégie conservatrice à permis de réduire de 62% le nombre de changement de cathéter sans impact sur la durée de la fièvre, la guérison des dysfonctions d’organes et les BLC.

Infections liees aux catheters en reanimation
Infections liées aux cathéters en réanimation

Traitement

Le cathéter

Une infection grave nécessite l’évacuation de la source d’infection donc l’ablation du cathéter. En l’absence de signes de gravité, 2 stratégies conservatrices peuvent être discutée : un changement de cathéter sur guide, une stratégie de surveillance rapprochée accompagnée d’une culture de l’orifice de sortie (bonne VPN) et d’hémocultures comparatives (bonne VPP). En cas d’hémocultures positives, il est indispensable (S aureus, Pseudomonas, Stenotrophomonas) ou très probablement souhaitable (entérobactéries, Candida sp.) de retirer le cathéter. Pour les hémocultures à staphylocoques à coagulase négative, il est prudent d’enlever les cathéters si aucun autre foyer infectieux n’a été mis en évidence et si les hémocultures ne sont probablement pas des contaminants (hémocultures positives dans un délai inférieur à 24 heures, multiples, ayant le même antibiotype). Attention, S. lugdunensis est un staphylocoque à coagulase négative qui possède la même virulence que S. aureus et doit être traité comme tel.

En cas d’évolution défavorable, de persistance d’hémocultures positives, l’ablation du cathéter doit être systématique

Antibiothérapie

En cas de choc infectieux, l’antibiothérapie doit être précoce et doit inclure la vancomycine, une beta-lactamine à activité anti-Pseudomonas et un aminoside. En cas de colonisation préalable à Candida sp. sur plusieurs site, si le choc survient alors que le patient est déjà sous antibiothérapie à large spectre, un traitement antifongique doit être discuté et doit comporter de préférence une candines ou de l’amphotéricine B liposomale.

Le traitement doit être désescaladé avec le résultat des cultures de cathéters et des hémocultures. Dans les formes non compliquées (régression du sepsis en moins de 72 h, pas de foyers infectieux persistants) à S. aureus, Pseudomonas sp., A.baumanni, and Candida sp., un traitement de 14 jours est recommandé. Pour les autres micro-organismes un traitement plus court de 7 jours parait suffisant si le cathéter responsable a pu être enlevé.

Dans quelques rares cas, lorsque le capital veineux est très réduit, un traitement conservateur peut être tenté. Il ne peut être discuté qu’en l’absence de sepsis sévère, et quand S aureus, Candida sp. (et probablement P aeruginosa et A baumannii) ne sont pas en cause.

La littérature concernant la prise en compte des cultures de cathéters positives isolées est pauvre et de niveau de preuve faible. En attendant des données plus fiables, s’il existe des signes de sepsis, un traitement de 7 jours peut être proposé en cas de culture à S. aureus, P. aeruginosa et Candida sp. En particulier chez les patients immunodéprimés ou porteurs de matériels étrangers. Quand la culture pousse à SCN, entérocoques, entérobactéries, l’ablation du cathéter parait suffisante.

Formes compliquées

La récidive, la persistance de la fièvre ou d’hémocultures positives malgré l’ablation du cathéter évoque une forme compliquée. Dans ce cas il faut discuter une prolongation ou une modification du traitement antibiotique, une recherche d’infection sur un autre site vasculaire, une métastase septique, une thrombophlébite septique ou une endocardite.

Les échecs pharmacodynamiques peuvent survenir pour des bactéries multirésistantes en particulier S aureus résistants à la méthicilline. Une dose de charge de 25 à 35 mg/kg en une heure suivie d’une perfusion continue de 30 mg/kg pour obtenir des concentrations circulantes efficaces de vancomycine est alors souhaitable. Si la CMI à la vancomycine atteint 1.5 mg/l, la daptomycine semble être une alternative séduisante.

En cas de formes compliquées dues à S. aureus, une échographie trans-œsophagienne doit être réalisée pour rechercher une endocardite qui nécessitera au moins 4 semaines de traitement.

La thrombophlébite peut aussi expliquer la persistance de la fièvre. Elle est le plus souvent due à S. aureus. Dans ce cas le traitement est de 4 à 6 semaines. Une anticoagulation efficace par héparine est suggérée par les résultats des études de niveau de preuve faible.

Une excision chirurgicale de la veine peut être proposée uniquement en cas de veinite superficielle purulente ou d’extension cellulitique de l’infection locale.

Quelques points de prévention

L’infection de cathéter peut être grave et est en grande partie évitable. La survenue d’un épisode dans le service doit être un signal d’alarme et impose une analyse détaillée pour corriger les procédures si elles s’avèrent avoir été mise en défaut.
Certaines règles de bases doivent être appliquées :

  1. Respect des procédures d’hygiène des mains avec des solutions hydro-alcooliques
  2. A la pose du cathéter :
    – Asepsie chirurgicale à la pose des cathéters centraux. Le nombre de personnes présentes dans la chambre doit être limité, la porte fermée.
    – Antisepsie de la peau avec un dérivé de la chlorhexidine ou de la polyvidone iodée alcoolique. La polyvidone iodée aqueuse doit être supprimée.
    – Pose préférentielle des cathéters centraux dans la veine sous Clavière et des cathéters artériels dans l’artère radiale. Pour les désilets de dialyse, la voie sous Clavière doit cependant être évitée du fait du risque de sténose veineuse secondaire.
  3. Entretien du cathéter :
    – La date de pose des cathéters doit être notée et suivie sur la feuille de surveillance.
    – Le maintien du cathéter doit être discuté quotidiennement.
    – Le pansement du cathéter doit être adhérent et occlusif. Sa date de réfection doit être notée sur son bord externe. Il peut être laissé 7 jours s’il est adhérent. Un pansement décollé ou souillé augmente le risque d’ILC et doit être refait immédiatement.
    – La présence de signes locaux doit être signalée sur la feuille de surveillance. Un écoulement purulent impose le changement de site de ponction du cathéter.
    – Les lignes de perfusion doivent être changées tous les 4 à 7 jours. Une tubulure ayant contenu des produits sanguins ou des lipides (dont propofol) doit être changée toute les 24 heures.
  1. Rôle des biomatériaux antiseptiques et antibiotiques :
    – Les cathéters imprégnés d’antiseptiques et d’antibiotiques ont fait la preuve de leur efficacité quand les taux d’infections sont très élevés (BLC > 3/1000 jours-cathéter). Aucune étude ou méta-analyse ne démontre leur efficacité si les taux de BLC sont maintenus à des taux « raisonnables » (<2/1000 jours cathéters).
    – Les verrous d’antibiotiques diminuent le risque d’infection des cathéters de dialyse et de nutrition parentérale. Cependant leur impact est surestimé par les méta-analyses (biais de publication), leur utilisation nécessite de condamner provisoirement le cathéter, et expose à une pression de sélection antibiotique inutile.
    – Les pansements imprégnés d’antiseptiques (chlorhexidine en particulier) diminuent le risque d’infection des cathéters veineux et artériel même si le taux d’incidence des ILC est inférieur à 1/1000 jours-cathéter. Leur utilisation est cependant associée à un surcoût, aisément compensé par le coût des infections évitées. Un eczéma de contact survient pour 1 cathéter sur 1000 environ d’évolution toujours favorable après éviction du produit.
    Les mesures précédentes doivent être accompagnées de la mise en place d’un suivi et d’une rediscussion des procédures par les intervenants au vu des données d’incidence, de la littérature et des réflexions du groupe hygiène multidisciplinaire du service.

Conclusion

L’infection liées aux cathéters est grave, fréquente, et en très grande partie évitable. Chaque nouveau cas justifie une remise en cause des procédures de soins utilisées et la mise en place de procédures correctrices si besoin.

En cas d’infection septicémique, le traitement repose sur l’ablation du cathéter et l’antibiothérapie. L’absence d’amélioration rapide impose la recherche de complications (thrombophlébite, endocardite, métastase septique) qui justifieront d’un traitement spécifique. Le maintien du cathéter en cas d’infection est toujours dangereux et ne se justifie en réanimation que dans de rares cas ou la pose d’un nouvel abord vasculaire est très difficile ou dangereux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *